Avec l'ouverture du Salon de l'Auto et les rafales d'annonces électrisantes qui s'en suit, on a parfois du mal à cerner le phénomène de la voiture électrique (VE) tel qu'il se présente aujourd'hui. Pourtant, la paysage est plus simple qu'il n'y paraît.
Tout d'abord, sachez qu'aucun constructeur ne vise aujourd'hui l'homme de la rue : si les véhicules présentés ne vous semblent pas suffisamment convaincants sur le plan de l'autonomie pour vous faire abandonner votre véhicule thermique, c'est tout à fait normal.
Mais alors, où sont les clients ? Tout simplement dans les entreprises et les collectivités : c'est ce qu'on appelle les flottes. Il faut savoir qu'en France aujourd'hui, ce marché a dépassé celui des particuliers, notamment grâce aux loueurs courte et longue durée auprès de qui de plus en plus de personnes viennent emprunter, moyennant contrepartie, un véhicule plus ou moins personnel.
Ces flottes ont un usage parfaitement connu, notamment les véhicules chargés d'effectuer des tournées urbaines. Il est donc facile d'en remplacer une partie par des véhicules électriques sans prendre trop de risques de panne sèche, et l'investissement en bornes de recharge est limité : il suffit d'en établir quelques-unes sur les parkings privés où dorment la nuit ces véhicules de société ou de collectivité.
Les acheteurs de véhicules de flotte ont un énorme avantage : ils sont rationnels. Ils se fichent du design ou de l'image de marque : ce qui compte pour eux,, c'est la satisfaction de l'usage au moindre coût. Comme dans les bouquins d'économie !
Nos lecteurs aînés se souviendront que le moteur diesel lui-même a également profité de la logique rationnelle des flottes pour s'implanter et se développer : dans les années 1970, seuls quelques taxis osaient le gazole sous le capot de leur bruyante Peugeot 504. C'est par ces premiers débouchés, également favorisés par une fiscalité avantageuse, que l'expérience des motoristes s'est développée et a permis progressivement au diesel de détrôner l'essence.
Une variante semble se développer : les solutions d'auto-partage type Autolib. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, c'est là que se trouve les plus grands points d'interrogation : le succès de Vélib - quoique relatif car le coût total en reste assez élevé, si on compte les vols et vandalismes - ne garantit pas le succès d'Autolib et consorts. C'est pour ce marché à l'iportance hypothétique que sont développés, à plus ou moins grand frais, les Mu, Twizy et autres e-smart.
Et Tesla Motors et son Roadster à 100 000 dollars ? Le prix même suffira à vous convaincre qu'il ne s'agit pas là d'un produit véritablement grand public. Ses performances remarquables sont obtenues par une quantité de batteries embarquées doublée par rapport aux autres VE, et par une structure et une carrosserie en carbone, très légère mais très coûteuse d'entretien : le moindre "pet" se transforme en trou irréparable, il faut changer la pièce entière.
Y a-t-il une concurrence entre VE et hybrides ? Non. L'hybridation est juste une façon de faire passer aux véhicules thermiques les règlementations antipollution de plus en plus draconiennes. Le client qui achète une hybride achète en fait une thermique. A long terme, quand le pétrole sera devenu bien plus cher, il y aura sans doute une segmentation bien nette du parc automobile : des petites et moyennes voitures électriques pour tous, des grosses bagnoles thermiques statutaires et/ou sportives pour ceux et celles qui ont besoin de s'afficher au volant de tels objets. Une voiture hybride est forcément beaucoup plus chère qu'une voitutre thermique "pure" de puissance équivalente, même si vous l'assemblez en Chine avec des équipements d'origine chinoise.
Pour généraliser, risquons une analogie de la loi de Moore pour établir la loi d'Aerobar : si la puissance des microprocesseurs double tous les dix-huit mois, on peut estimer que la capacité des batteries devrait doubler tous les huit ans. Même si des révolutions scientifiques se font jour, il faudra du temps pour valider et certifier l'usage de ces batteries dans la vie courante et construire l'outil de production capable de fournir en masse la technologie. La voiture électrique grand public réellement concurrente du véhicule thermique, avec une autonomie proche de 500 km et un coût similaire, devrait donc être disponible vers 2025. C'est à la fois peu et beaucoup : le GSM a mis également vingt ans à conquérir la planète, et il y a dix ans encore, il se trouvait encore beaucoup de sceptiques démontrant par A+B que le mobile GSM était cher, sans intérêt pour le grand public et qu'il resterait donc un joujou pour cadres supérieurs.