Le 7 mars dernier, après avoir dîné chez leurs amis Francisco-Marisette à Longjumeau (Essonne), la famille Mallet est montée dans sa nouvelle Dongfeng 3009 pour regagner son domicile, dans le XIIIe arrondissement parisien. Il faisait très doux pour la saison, réchauffement climatique oblige : Mme Mallet mit donc la climatisation en mode recyclage pour accélérer le refroidissement de l'habitacle qui avait chauffé après être resté exposé aux derniers rayons de soleil d'une belle journée.
Il semblerait qu'en arrivant près de la porte d'Orléans, la voiture ait roulé sur une lamelle métallique ; par le mouvement du pneu, cette lamelle fut projetée sous le châssis, fendit le tube d'échappement puis se glissa à l'intérieur du compartiment moteur où elle endommagea un faisceau de fils électriques avant de finalement s'encastrer dans la buse d'alimentation habitacle de la climatisation.
Le bruit sourd et surtout la perte instantanée de quelques fonctions secondaires alimentées électriquement (auto-radio, éclairage du tableau de bord...) mais aussi de tous les systèmes d'urgence (commande des feux warning, bouton d'appel d'urgence, airbags...), également alimentés par le faisceau abîmé, avaient aussitôt inquiété M. Mallet qui conduisait et celui-ci décida de faire demi-tour pour regagner le point service Dongfeng qu'il avait dépassé il y a quelques minutes et qui était alors encore ouvert malgré l'heure tardive. La rupture du faisceau électrique avait également mis hors circuit le système de téléphone mains libres, ce qui fit que M. Mallet ne put prévenir le point Dongfeng de son arrivée imminente.
Un autre drame se passait sous le capot : une partie des gaz brûlés s'enfuyait du tuyau d'échappement et était aussitôt aspirée par la buse de climatisation, partiellement brisée après l'encastrement de la lamelle. Du fait du mode recyclage, la concentration en CO2 augmenta ainsi rapidement dans l'habitacle.
Les enfants à l'arrière, qui regardaient sagement leurs vidéos préférées sur leur supertablettes, ainsi que Mme Mallet qui s'était assoupie en place avant, ne prirent pas conscience de leur lent empoisonnement. Seul M. Mallet, deux pâtés de maison avant d'arriver au garage visé, commença à éprouver des tremblements et des troubles visuels légers. Pour arriver sains et saufs, il décida de rebrancher l'aide à la conduite qu'il avait débranchée juste après l'incident initial ; malheureusement, de par son état, il se trompa en sélectionnant la destination sur l'écran de navigation : au lieu de choisir comme POI le plus proche "Station-service Dongfeng", il cliqua sur l'item précédent qui était... "Station de sports d'hiver", avant de rejoindre brutalement femme et enfants dans l'inconscience.
Huit heures plus tard, au petit matin, la Dongfeng fut percutée de plein fouet par un poids lourd roulant sur la même voie et dans le même sens, sur l'autoroute près d'Annecy. Le chauffeur du camion ne fut d'abord pas cru quand il affirma que le véhicule était à l'arrêt, tous feux éteints, en plein milieu de la chaussée. Le mystère s'épaissit quand on s'aperçut que les passagers, tous retrouvés morts après le choc, avaient succombé à une asphyxie au gaz carbonique et non à la violence de l'accident. C'est seulement après plusieurs jours qu'on comprit que le véhicule, transformé en corbillard informel, après plusieurs centaines de kilomètres parcourus en automatique, était tombé en panne sèche sur l'autoroute et que la batterie, prématurément vidée par le court-circuit du faisceau électrique, n'avait pu maintenir que quelques minutes l'éclairage du véhicule qui aurait permis au camion fatal de la repérer à temps pour l'éviter.
Ce fait divers hypothétique, qui pourrait paraître un jour quelque part dans les pages intérieures d'un journal local, illustre un des risques potentiels de la voiture autonome dont tant de journalistes se font aujourd'hui les apôtres, enthousiasmés à l'idée de lire leur journal dans les embouteillages - mais aussi, pourquoi vouloir absolument aller dans les embouteillages quand on veut lire son journal ?
Nos lecteurs attentifs auront bien évidemment reconnus dans ce fait divers une transcription d'un scénario possible de la fin du vol MH370, avec comme élément déclencheur une funeste lamelle qui n'est pas sans rappeler celle qui mit à mort un Concorde il y a une quinzaine d'années.
De nos jours, grâce aux énormes travaux faits sur la sécurité aéronautique, les crashs catastrophiques sont devenus rares - quelques-uns par an dans le monde entier - mais le parc d'avions de ligne en service se compte en dizaines de milliers d'appareils seulement.En automobile, c'est en millions qu'on parle : à l'horizon 2020, il est probable qu'on mette en service cent millions de véhicules (voiture et utilitaires légers) chaque année dans le monde.
Si, avec le même niveau de fiabilité intrinsèque, on équipe seulement 1% des nouvelles voitures de "quasi-pilotes automatiques" à partir de 2020, il y aura quand même près de 10 millions de véhicules de ce type en circulation en 2029, année de cette pseudo-chronique. Les chaînes d'événements de type MH370 auront donc environ mille fois plus de chances de se produire ; autrement dit, il y aura chaque jour un fait divers macabre de ce type dans le journal... A moins qu'on mette en place des contrôles aujourd'hui inexistants dans l'aéronautique civile et qui permettraient pourtant de s'apercevoir qu'on a un avion fou en l'air, voire d'en reprendre le contrôle à distance, avant qu'il ne s'écrase quelque part dans l'océan.
C'est tout le bien qu'on peut souhaiter à l'avion : que la recherche automobile lui permette indirectement de gagner encore en sûreté. Et pourquoi pas à d'autres systèmes critiques, comme par exemple... une centrale nucléaire ?