Alors que s'achève la conférence de
Legoland Copenhague, quelques élucubrations conspirationnelles viennent à se collisionner dans nos circonvolutions cérébrales.
Quelle lecture ferait un extra-terrestre de la situation ? Comme procédé littéraire, on ne peut plus, en effet, utiliser le sauvage des Lumières, vu qu'il s'appelle désormais "représentant d'un pays émergent" et qu'il fait partie du jeu.
Tentons une réécriture des dernières pages d'histoire : en 1992, c'est le fameux Sommet de Rio. Deux auparavant , le Président George Bush père a prononcé son fameux discours où il a employé l'expression du
"nouvel ordre mondial" : les Etats-Unis se déclarent maîtres de la planète et ce n'est bien évidemment pas au goût de tout le monde. Le concept de développement durable ne peut alors que rallier une d'abord timide opposition à l'Oncle Sam, puisqu'il s'oppose à l'
American Way of Life dès qu'on y réfléchit un peu, sans pour autant paraître trop agressif au premier abord.
Très bon concept, mais comment aller plus loin ? Sur ces entrefaites, les anciens maîtres du monde, les Européens, tombent sur un papier scientifique qui n'intéresse alors que 3,7 personnes dans le monde : les conséquences à long terme des émissions de gaz industriels sur le climat.
"Dis donc, y a peut-être quelque chose à tirer de cela..." se disent quelques diplomates.
"On a là une question dont la résolution ne peut passer que par une gouvernance mondiale, et sur lequel les Etats-Unis sont assez passifs. Prenons l'initiative ! Construisons de nouvelles institutions internationales qui, sous prétexte de prendre le climat sous contrôle, nous permettront d'améliorer nos relations économiques et financières avec nos anciennes colonies qui regorgent de ressources naturelles, tout en respectant les beaux traités de l'OMC et tutti quanti ; en plus, dans ce nouveau machin qu'on basera partout sauf à New York, les Etats-Unis ne seront qu'un simple acteur et, en plus, pas avec le beau rôle ! C'est pas beau, ça ?
- Oui, mais qui a entendu parler de... de quoi, déjà ? De l'influence à l'équilibre des gaz à effet de serre sur le climat terrestre ? On ne peut pas mobiliser les foules, et encore moins les chefs d'Etat, avec ça...
- Tu as raison. On va appeler ça "changement climatique", c'est plus court. Et pour nous asseoir sur des bases solides, on va fonder un truc qu'on va appeler le GIEC qui nous fournira un socle scientifique indiscutable. Et pour montrer qu'on ne manipule pas les chiffres, on va fournir à ces scientifiques des données économiques made in USA : on va appeler ça "scénarios d'émissions" et ils seront directement alimentés par les projections macro-économiques des institutions internationales que les USA reconnaissent sans réserve : l'ONU et l'OCDE."
La démarche est un succès : elle prend rapidement l'ampleur mondiale souhaitée par ses pères, et les Etats-Unis se retrouvent, quelques années plus tard, coincés à Kyoto par le reste du monde sur la question même de leur modèle économique, à la manière de Gulliver endormi se réveillant ligoté par des Lilliputiens. Le géant s'énerve et sort en claquant la porte.

Les Démocrates, malins et retors, essaient de récupérer le sujet en douce : Al Gore se découvre d'un coup une véritable passion pour la question, avec le succès que l'on sait. L'enjeu n'est pas de faire un beau film, mais bien que l'Amérique reprenne le
thought leadership. Pas de chance, les Républicains lui piquent la Maison-Blanche, et avec eux vient l'époque des méthodes plus expéditives.
"Fucking Europeans !" hurle-t-on à Washington, à l'heure où les Faucons ont pris le pouvoir et se prennent tous pour Patton.
"Ils nous ont bien eus, mais pour parler comme l'un d'entre eux qui ne nous aimait pas trop, nous avons perdu une bataille mais pas la guerre...
- OK, mais on fait quoi ?
- Carpet bombing ! Démolissez-moi leur théorie scientifique, sans elle leur position ne sera plus tenable ! Tous ces chercheurs européens qui croient dur comme fer à Darwin ne peuvent pas être des gens sérieux ! Pan sur le GIEC !
- C'est quand même du solide...
- Allez-y comme dans le Pacifique ! Lâchez les sceptiques ! Crédit illimité ! A force de faire des trous, ça finira par casser." Comme l'avaient prévu les Européens, la bonne science a tenu bon. Etonnamment, personne n'a vu la faille principale du dispositif : non pas la théorie du réchauffement, mais bien la façon
catastrophiste dont on estime ses
conséquences futures sur l'économie et la vie quotidienne des habitants de la planète. La seule étude un tant soit peu sérieuse est dans le fameux rapport Stern, que tout le monde a pris pour argent comptant - sauf
quelques climatologues de renom :
En conclusion : Stern a largement bien utilisé la climatologie, bien qu’il se soit égaré parmi les fourchettes hautes des nombreuses estimations et qu’il les ait prises comme référence dans son résumé. Ce parti pris haut de gamme fait qu’on peut accuser son rapport d’ “alarmisme”
Malheureusement, quand des climatologues osent parler d'économie, on ne les écoute pas. Pourtant, on accepte bien que des économistes parlent de climat...
N'ayant pas suivi avec attention ce qui s'est passé au Danemark, tellement le
bruit masquait le signal, il nous faudra attendre quelque temps pour savoir si les Européens ont progressé dans leur quête de pouvoir mondial.
La partie est dure à jouer car les Démocrates subtils sont de retour, avec un Obama plus charismatique que jamais et qui a prévenu les Européens qu'il avait fait son
"homework" sur la question.
Se rajoute à cela un imprévu de taille dans le plan initial : l'arrivée de la Chine charbonnière dans la cour des grands, la Chine qui a privilégié la force brute de l'industrie et du commerce pour s'imposer... naturellement.