23 octobre 2008
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Laissez passer le café si ça lui fait plaisir
Les animaux ont des ennuis, Jacques Prévert
Les animaux ont des ennuis, Jacques Prévert
Quand arrêtera-t-on cette ineptie de coter les émissions de carbone en Bourse ?
Alors qu'il est implicitement reconnu aujourd'hui que le cours des actions comme celui des matières premières n'est plus représentatif de sa valeur dans l'économie réelle, pourquoi un marché financier totalement artificiel parviendrait-il à fixer le juste prix d'une tonne de carbone ?
Même nos voisins d'Outre-Atlantique, naguère encore réputés si libéraux, viennent de voter en toute discrétion une loi, intitulée Emergency Economic Stabilization 2008 (stabilisation économique d'urgence 2008), qui offre 20 dollars de crédit d'impôt aux entreprises pour chaque tonne de carbone stockée. Voilà qui fournit un business case clair à l'industriel qui se demande s'il doit, oui ou non, séquestrer le carbone qu'il émet.
Pendant ce temps, en Europe, nous laissons faire un marché de crédits d'émissions où la tonne vaut certes un peu plus chère aujourd'hui (20 € à l'heure où nous écrivons ces lignes, soit environ $30), mais peut parfaitement ne plus rien valoir du tout l'année prochaine. L'industriel européen, pragmatique comme ses confrères américains, n'a guère envie de se lancer dans des investissements dont le retour ne soit pas garanti : il préférera donc attendre et voir. Au pire, il utilisera un produit dérivé pour se couvrir d'une hausse spéculative toujours possible.
Le marché aboutit donc au contraire de ce pour quoi il était conçu : encourager l'inaction. Le laisser faire encourage le laisser aller. Les seuls que le marché du carbone intéresse, ce sont les fonds d'investissements : mais ils pourraient tout aussi bien jouer leurs liquidités à la roulette, ils n'ont que faire du produit sous-jacent. Le problème est qu'aujourd'hui, les marchés à terme sont devenus si importants qu'ils déterminent le prix dudit sous-jacent au lieu de s'aligner sur le cours de la marchandise physique. Que l'on ferme BlueNext et qu'on ouvre à la place des casinos en ligne pour hedge funds !
Remarquons au passage que cette loi d'urgence, qui ressemble aux bribes d'un plan de relance économique, assure également quelques crédits d'impôts à l'industrie naissante du charbon liquéfié : 250 millions de dollars de crédits pour ceux qui construiront des usines, plus 50 cents par gallon de charbon liquéfié produit. Voilà une façon commode de protéger ce secteur de la chute du cours du baril, soumis aux caprices du marché.
Pendant ce temps, la philosophie de gouvernance européenne est devenue totalement schizophrène. Sur certains sujets, l'unanimité de vingt-sept nations est exigée ; sur d'autres, ces mêmes vingt-sept s'en remettent à l'arbitrage de quelques dizaines, voire centaines, d'individus - pas forcément européens - dont la seule motivation est l'enrichissement personnel
Sur cet exemple qui mêle le meilleur (le stockage du carbone) et le pire (le charbon liquéfié), les Etats-Unis font en toute discrétion leur Grenelle à eux.